Présidentielles : Au-delà du pouvoir, redécouvrir l'autorité

Tribune de Mgr Didier BERTHET

À la veille du 1er tour des élections présidentielles, Mgr Berthet s'est exprimé sur le rapport entre pouvoir et autorité dans une tribune diffusée ce jeudi 7 avril 2022 sur le site du journal La Croix : Mgr Berthet : « L’actualité de l’Église rappelle qu’il est funeste de considérer une mission comme l’exercice d’un pouvoir ». Notre évêque y propose une réflexion sur la fonction du président de la République et l'autorité qu'il (ou elle) est censé incarner.

 

PRÉSIDENTIELLES : AU-DELÀ DU POUVOIR, REDÉCOUVRIR L'AUTORITÉ

Nous voici tendus vers « la grande élection des Français », c’est-à-dire le scrutin présidentiel par lequel un homme (ou une femme) parviendra au pouvoir ou s’y maintiendra, selon notre vocabulaire le plus habituel. Juste derrière ce scrutin se profilent les élections législatives qui auront essentiellement pour but de transformer l’essai et de donner, comme il se doit, une majorité au nouveau Président de la République. Le nouvel élu pourra ainsi avoir les moyens de gouverner le pays. Mais le Président doit-il vraiment gouverner ?

Le paradoxe présidentiel

La Constitution de notre pays demeure très claire à ce sujet : Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation (art. 20) ; Le Premier ministre dirige l’action du gouvernement (art. 21). N’est-ce pas là gouverner ou, si l’on veut, exercer le pouvoir ? Quelle est alors la vocation du Président de la République ?
Il veille au respect de la Constitution. Il assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État.  Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités (art.5).
Ces quelques citations suffisent à percevoir que la fonction présidentielle doit transcender la fonction gouvernementale et veiller aux intérêts supérieurs de la Nation et aux grands équilibres de la vie publique. Or, nous le savons, des décennies de pratique politique et quelques révisions constitutionnelles (le quinquennat notamment) ont largement redistribué les cartes, pour ne pas dire qu’elles les ont brouillées. Largement descendue dans l’arène de la vie politique et désormais engagée dans le gouvernement le plus quotidien des affaires publiques, la fonction présidentielle se distingue par son omniprésence et son intervention incessante, quelles que soient les personnalités qui ont pu s’y succéder. Sans cesse exposée, elle est souvent en butte à la contestation, voire à l’irrespect.
Pour le dire clairement, la Présidence de la République a perdu en autorité ce qu’elle a voulu gagner dans l’exercice direct du pouvoir.

Sagesse des Romains, expérience de l’Église

Car l’autorité n’est pas le pouvoir. La Rome antique l’avait bien discerné, elle qui attribuait au Peuple la source du pouvoir, tandis qu’elle confiait au Sénat l’exercice de l’autorité. Au nom du peuple, différents « magistrats », consuls, préteurs, édiles ou questeurs exerçaient les pouvoirs militaires, judiciaires ou administratifs. Au Sénat revenait la charge de vérifier et d’attester, si l’on peut dire, que Rome était toujours dans Rome. Ainsi, un consul et son armée pouvaient bien s’emparer d’un nouveau territoire, seul le Sénat pouvait en faire une province romaine. Au cœur de la république romaine, le Sénat garantissait la fidélité de Rome à sa fondation et à ses valeurs fondamentales, et veillait ainsi à la « romanité » de tout ce que Rome accomplissait. Cette fonction de présidence collective, de sagesse et d’attestation était bien du ressort de la auctoritas qui, littéralement, est la capacité à faire grandir à partir des origines.

À sa manière et dans son domaine propre, l’Église connaît bien le principe d’autorité. Car c’est l’autorité, et non le pouvoir, qui est au fondement de la mission du Christ qui se poursuit dans celle de son Corps. L’actualité difficile de notre Eglise nous rappelle combien il est funeste de considérer une mission ou un ministère comme l’exercice d’un pouvoir. Bien plus qu’une organisation fonctionnelle, l’Église est un corps symbolique et sacramentel, et c’est pourquoi l’autorité y est première et essentielle. L’exercice du ministère épiscopal m’a profondément éclairé à ce sujet. Parce que successeur des Apôtres et membre du collège épiscopal, l’évêque atteste que l’Église qu’il préside est bien catholique, car reliée à celle des origines et à celle qui est répandue à travers le monde. Le ministère de présidence ecclésiale est une fonction d’autorité, au service de la communion.

Vers un nouvel équilibre ?

Est-il donc souhaitable et possible de retrouver le principe d’autorité au sommet de l’État ? Il semble que notre pays en ait un grand besoin. Beaucoup s’accordent à dire que la société française est plus que jamais fracturée, tendue, insurrectionnelle même, et qu’elle est devenue comme un archipel dont les îlots ne se rencontrent pas.  Consciemment ou non, nous sommes en attente d’une figure qui puisse d’abord incarner la continuité, l’unité et la solidarité de la Nation. Cette figure ne peut être celle de l’homme fort ou providentiel, toujours clivante et contingente, ni celle du « président soliveau », purement formelle et honorifique. Elle doit nous être redonnée par un rééquilibrage symbolique et pratique de nos institutions. A l’image des démocraties qui nous entourent, la plus haute autorité de l’État devrait être bien plus dégagée de l’exercice immédiat du pouvoir, afin de mieux rendre à la Nation le service qu’elle lui doit.
 

+ Didier BERTHET
Évêque de SAINT-DIÉ

Relire la tribune sur le site de La Croix

 

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