Le voyage apostolique du pape François en Irak

La République d’Irak est un État d’Asie occidentale ouvert sur le Golfe persique. Le pays est très riche en ressources naturelles, notamment en gaz et en pétrole dont il possède une des plus importantes réserves du monde. Bordé par la Turquie au nord, l’Iran à l’est, l’Arabie Saoudite et le Koweït au sud et la Jordanie et la Syrie à l’ouest, l’Irak occupe une place centrale dans la région. Les combats d’influence entre l’Iran et l’Arabie saoudite en ont fait une zone sensible et ont créé un climat de violence en Irak.
Membre de l’OPEP, l’Irak est un pays en développement et possède le 50ème PIB le plus important (225,914 milliards $USD).
 

Les autorités musulmanes en Irak

La religion majoritaire en Irak est l’islam : 97 % des Irakiens sont musulmans et environ 3 % font partie de minorités (Yézidis, Kakaïs, alévis, mandéens, chrétiens). Les estimations du nombre de chrétiens varient entre 1 et 2,5 %.

Depuis 1958, l’Irak est une République, un régime parlementaire, mais le contexte politique a toujours été particulièrement instable. En 2003, l’intervention américano-britannique renverse le pouvoir autoritaire du président Saddam Hussein, en place depuis 1979. Malgré les fortes tensions religieuses dues à la division entre la majorité chiite et la minorité sunnite, des élections ont été programmées pour remettre en place des institutions démocratiques.

Le président de l’Irak est depuis octobre 2018, Barham Salih, membre de l’Union Patriotique du Kurdistan et musulman sunnite. Considéré comme proche du pouvoir américain, le président a peu de pouvoirs et doit nommer un Premier Ministre, approuvé par le parlement, qui est en fait celui qui dirige le pays. Depuis octobre 2019, les premiers ministres se succèdent. Actuellement, Mustafa Al-Khadimi, chiite non affilié à un parti, a été désigné à cette charge après la démission de Adil Abdul-Mahdi.

Des élections législatives anticipées doivent avoir lieu au mois de juin. Elles ont été avancées suite aux grands mouvements de manifestation d’octobre 2019. Les jeunes voulaient lutter contre le sectarisme religieux instrumentalisé par les politiques et ainsi assurer la primauté de la nationalité et de la citoyenneté irakienne. C’est notamment par la force de ces manifestations que l’ancien Premier ministre Adil Abdul-Mahdi a été contraint de démissionner. Cela n’est cependant pas suffisant car, dans l’un des pays les plus corrompus du monde, le peuple réclame la mise en place d’une nouvelle constitution et l’émergence d’une nouvelle classe politique.

Le climat de violence est particulièrement perceptible par la présence de nombreuses milices, notamment chiites. L’Irak souffre du problème de la division entre l’appareil militaire de l’État et les milices chiites. Ces dernières, soutenues par l’Iran, sont souvent plus fortes et plus puissantes que le gouvernement, si bien qu’elles remettent en question son autorité. L’État ne parvient donc pas à endiguer les causes réelles des violences.
 

Le dialogue interreligieux

Les revendications populaires souhaitent mettre fin au sectarisme religieux qui divise l’Irak, notamment sur le plan politique entre sunnites, chiites et minorités. La religion est toujours mentionnée sur la carte d’identité. L’arrivée du pape en Irak est très attendue afin de mettre en avant la même affiliation qui lie tous les Irakiens comme les frères d’un même père, Abraham. Dans son programme, le pape François a notamment prévu de rencontrer les différents chefs religieux.
Le dialogue interreligieux a été mis à mal après les invasions de Daesh. De nombreux chrétiens se pose la question de l’émigration ; or leur place en Irak est importante car ils sont en capacité de faire le pont entre les autres communautés. Il est nécessaire que le dialogue reprenne et la visite du pape François est d’une importance majeure.
Depuis la chute de Daesh en Irak, tout est à reconstruire, notamment pour les chrétiens de la plaine de Ninive, et l’un des meilleurs moyens pour y parvenir est l’éducation.

L'après Daesh et la reconstruction du pays

La plaine de Ninive a une importance capitale dans le patrimoine chrétien. L’arrivée du christianisme dans la région remonterait en effet à la fin du IVe siècle ou au début du Ve. Ancien siège épiscopal syriaque-orthodoxe, la ville de Qaraqosh devient catholique au XVIIIe siècle. Cette région dans laquelle vivait encore une majorité de chrétiens a été particulièrement malmenée par Daesh. Aujourd’hui, la présence des chrétiens sur le territoire est très fragilisée.
Daesh a envahi une partie du nord de l’Irak en 2014. 150 000 chrétiens ont été accueillis au Kurdistan irakien. Depuis 2017, 40 % d’entre eux ont pu retourner vivre chez eux. 25 000 chrétiens syriaques catholiques vivent actuellement à Qaraqosh et une centaine de chrétiens sont retournés à Mossoul (50 familles inscrites pour les distributions humanitaires). Ils sont toujours marqués par la peur, notamment celle du retour de Daesh. De nombreux chrétiens sont restés à Ainkawa, quartier traditionnellement chrétien de la ville d’Erbil au Kurdistan irakien.

À leur retour dans la plaine de Ninive, les chrétiens irakiens ont d’abord dû réparer les maisons et habitations saccagées par Daesh qui s’est appliqué à faire disparaitre toutes traces chrétiennes. Ensuite, ils ont entamé la remise en état des bâtiments religieux, culturels et institutionnels, et la reconstruction d’espaces au sein desquels chrétiens et musulmans pourront renouer des liens. La reconstruction passe aussi par la remise en place des croix et autres insignes religieux dans les églises et la restauration des grands emblèmes du patrimoine chrétien : l’église Al-Tāhirā à Qaraqosh, le couvent de Mar Behnām et Sārah de Khidhr Ilyas, le monastère de Rabban Hormizd d’Alqosh...  

Si les chrétiens se réinstallent sur leur terre, il reste cependant une certaine méfiance entre les Irakiens ce qui rend la reconstruction du pays difficile. La reprise du dialogue est une nécessité.

Les Yézidis, environ 400 0008 aujourd’hui en Irak, donc plus nombreux que les chrétiens, ont été profondément marqués par l’invasion de Daesh : 12 000 d’entre eux ont été tués, 7 000 sont portés disparus et 3 000 femmes et enfants sont toujours détenus comme esclaves. Cette minorité se sent abandonnée par l’État irakien. En effet, les chrétiens sont soutenus par une grande communauté mondiale tandis que les Yézidis sont seuls face à Daesh et ne sont pas considérés par le pouvoir central. Les Shabaks, minorité chiite de la plaine de Ninive, ont aussi souffert de l’invasion de Daesh qui a conduit au déplacement d’une partie de leur population dans tout l’Irak. Les Kakaïs, vivant sur les rives du Grand Zab à la frontière irako-iranienne, ont été estimés à 200 000 en 2011 par le Groupe International du droit des minorités. Ils ne sont pas représentés politiquement ce qui leur rend difficile la possibilité de porter leurs revendications.
 

Les Églises en Irak

L’Irak est l’un des premiers pays à avoir été christianisé comme en témoigne le passage des apôtres Thomas et Matthieu. Une diversité d’Églises se sont implantées sur le territoire : assyrienne, chaldéenne, syriaque catholique  syriaque orthodoxe
Géographiquement, les Églises se répartissent dans trois grandes zones d’Irak : la vallée chaldéenne avec les villages allant du nord de Mossoul à Al Qosh, la plaine syriaque incluant la ville de Qaraqosh et enfin les montagnes assyriennes avec les villages proches de la frontière turque.
Depuis le début des années 2000, les chrétiens sont passés d’une forte minorité d’environ 1,5 millions d’âmes, toutes confessions confondues, à une population estimée entre 300 000 et 500 000 personnes en 2020.

• L’Église assyrienne, anciennement appelée nestorienne, est conduite par Mar Georgis III. Les 20 000 fidèles sont rassemblés en majorité dans le nord de l’Irak. Elle dispose d’une forte diaspora aux États-Unis. Aussi qualifiée d'Église monophysite, elle est composée de 3 archidiocèses ; l’archidiocèse d’Erbil et de Kirkuk conduite par Monseigneur Abris, l’archidiocèse de Mossoul et de Dohuk conduit par Monseigneur Issaq et l’archidiocèse de Bagdad conduit par Monseigneur Elia.
   
• L’Église chaldéenne est menée par S. B le patriarche Louis Raphaël Sako qui réside à Bagdad. Les fidèles sont répartis dans les villages chaldéens au nord de Mossoul et à Erbil. L’Église est pourvue de 20 évêques dont 9 en Irak, 5 à l’étranger notamment en Tunisie et en Europe et 6 à la retraite. 35 prêtres célèbrent la messe dans 7 diocèses en Irak : Kirkouk/Souleymaniyah, Bassorah, Bagdad, Mossoul/Akra, Erbil (26 %) et Dohuk (29 %).
  Elle s’appuie sur un séminaire patriarcal ainsi que sur trois communautés religieuses présentes en Irak, une communauté de sœurs dont le siège est à Bagdad, une autre à Erbil et une communauté de moines à Al Qosh. Ces communautés répondent notamment à des missions d’éducation et d’accueil des personnes défavorisés.
   
• L’Église syriaque catholique est conduite par S. B le patriarche Ignace Youssef III Younan résidant à Beyrouth. Elle rassemble environ 45 000 fidèles dans la plaine de Ninive. Elle est constituée de 4 diocèses : Bagdad (Mgr Abba), Bassorah et Golfe (Mgr Dardar), Mossoul (Mgr Moshe) et Hadiab/Erbil (Mgr Semaan) L’Église syriaque en Irak s’appuie également sur 4 communautés religieuses pour la plupart situées à Qaraqosh ou aux alentours.
   
• L’Église syriaque orthodoxe, appelée aussi jacobite, est conduite par S. B le patriarche Ignace Ephrem II habitant Damas. Les 25 000 jacobites irakiens sont présents au Kurdistan irakien, à Bartella et Bashiqa. Elle regroupe 3 archidiocèses; l’archidiocèse de Mossoul et du Kurdistan conduit par Monseigneur Daoud Nicodemus, l’archidiocèse de Mar Mataï conduit par Monseigneur Mosa Alshamany et l’archidiocèse de Bagdad et de Bassorah conduit par Monseigneur Seorios Hawa.
   
• L’Église latine est représentée en Irak par Monseigneur Jean-Benjamin Sleiman, archevêque pour l’Irak. 2 prêtres argentins et 1 prêtre irakien célèbrent, à Bagdad, la messe selon le rite de Rome. Elle s’appuie sur 8 communautés religieuses présentes dans tout l’Irak. Les frères dominicains sont à Bagdad et Erbil, les sœurs dominicaines de la Présentation de Tours à Bassora, Dohuk et Bagdad et les sœurs dominicaines de sainte Catherine de Sienne se trouvent dans tout l’Irak. Les Petites sœurs de Jésus sont présentes à Bagdad et Bartella, les sœurs franciscaines sont, elles, à Bagdad et Qaraqosh et un frère de la communauté des Carmes, le frère Ghadir, intervient à Bagdad et à Dohuk. Enfin, les sœurs Carmélites et les sœurs Missionnaires de la Charité œuvrent à Bagdad.
  Ces communautés proposent des services auprès des population pour les soutenir spirituellement, pour favoriser leur éducation, aider les personnes malades et souffrant de handicap et accueillir les personnes démunies.

D’autres Églises sont aussi représentées en Irak comme l’Église arménienne catholique (2 prêtres dont 1 administrateur apostolique et 100 familles), l’Église arménienne orthodoxe (8 prêtres et 200 familles), l’Église copte orthodoxe (1 prêtre et 50 familles), l’Église grecque orthodoxe (1 prêtre et 50 familles), ainsi que des courants protestants, dont le nombre de fidèle a augmenté depuis l’invasion américaine.

^{_{Sources : populationdata.net ; L'Œuvre d'Orient}}

Message aux chrétiens d'Irak et à tous les Irakiens à l'occasion de la visite du pape François

Chers frères et sœurs,

"La grâce et la paix à vous en abondance" (1 P 2). Je tiens à vous adresser ce message à l'occasion de la visite de Sa Sainteté le Pape François en Irak, en raison de son importance ecclésiastique et nationale.

1. Une visite qui marquera nécessairement notre Église et notre pays

Sa Sainteté le Pape François se rendra en Irak au début du mois de mars 2021. Cette visite est un pèlerinage dans notre pays, la terre d'Abraham ; ce n'est pas un voyage touristique ou un voyage de luxe, Sa Sainteté apporte un message de réconfort pour tous en ces temps d’incertitude. C'est une visite qui doit être préparée, au niveau national, ecclésial et spirituel, étant donné son importance. Une visite qui encouragera les Irakiens à surmonter le passé douloureux, à se réconcilier et à panser leurs blessures, à s'unir et à s'entraider en vue du développement, de la paix, de la stabilité, de la consolidation de la coexistence, du respect de la diversité et du pluralisme, en étant les différents frères d'une même famille, et les citoyens de la terre d'Abraham, l'Irak, leur maison commune. C'est pourquoi ils doivent se donner la main pour la paix.
Pour nous, chrétiens, c'est une visite, une occasion de pèlerinage vers nos premières racines, de conversion et d'attachement à notre identité chrétienne et irakienne ; nous devons donc être à la hauteur de l'occasion et ne pas la laisser se produire sans laisser de traces en nous, dans notre Église et dans notre pays.

C'est une visite qui est une occasion de réfléchir, de revoir, d'analyser et de se lancer dans une nouvelle vision de l'Église en Irak et dans la région, et de trouver un plan d'action pour que l'Église devienne plus enthousiaste à l'idée de revenir à la radicalité spirituelle évangélique, et plus proche des gens, les servant avec générosité et joie par tous les moyens, à l'exemple de nos Pères, des saints et des martyrs.
Comme chacun le sait, notre Église chaldéenne irakienne et d'autres Églises sœurs en Irak et au Moyen- Orient subissent des pressions et des défis différents, politiques, économiques et sociaux, en raison des conflits, de l'extrémisme, de l'émigration et des conséquences de la pandémie de coronavirus - autant de réalités qui ont brouillé les pistes et compliqué les relations et le travail. Nous devons faire de cette visite l'occasion d'un grand retournement de situation, afin que la foi et l'espoir en nous deviennent un engagement.

2. Nous devons être responsables

En vivant au XXIe siècle, nous devons comprendre l'importance de revoir et de changer la façon dont nous réfléchissons théologiquement et spirituellement, liturgiquement et pastoralement, œcuméniquement et pédagogiquement, notre comportement en tant que croyants, en tant que serviteurs consacrés appelés par le Seigneur à conduire son troupeau de façon harmonieuse, loin des idées fausses et de la recherche de la domination et du prestige.

Les questions qui nous sont adressées aujourd'hui sont les suivantes : Quelle est notre présence, quelle est notre influence sur nos chrétiens et notre société ? Quelle est notre vision de l'avenir du christianisme et de sa proclamation en Irak et en Orient ? Face aux défis, en union, en témoignage, en ouverture avec foi, espoir et joie, faut-il rester ou partir ? C'est notre terre, nous ne pouvons pas y renoncer, ni l'imaginer sans ses chrétiens. Il existe également un autre grand défi pour les familles qui ont envisagé d'avoir moins d'enfants. Face à toutes ces questions, nous devons nous soutenir les uns les autres, tant ceux qui sont au sein de la nation que ceux qui vivent dans la diaspora.
Notre existence en tant que chrétiens en Irak et en Orient n'est pas le fruit du hasard ou d'une émigration, mais d'un plan divin ; nous avons une vocation et une mission. Nous ne pouvons y renoncer, malgré les difficultés. En tant que pasteurs, nous devons continuellement comprendre la situation actuelle avec un esprit ouvert, et nous devons réorganiser et changer les choses avec sagesse pour que la vie chrétienne soit en harmonie avec les exigences du temps présent dans lequel nous vivons, en restant ancrés dans notre authenticité orientale, c'est-à-dire en puisant à la source et non aux ruisseaux, en nous basant sur la lettre du pape François "La conversion pastorale de la communauté paroissiale au service de la mission évangélisatrice de l'Église", où il affirme que l'évangélisation est la norme qui doit nous guider et nous faire bouger. Le pape François, dans ses discours, insiste sur une Église ouverte vers le peuple, une Église qui lui parle dans sa langue, pour être au cœur du monde, une Église de l'incarnation et de la résurrection pérenne.

3. Caractéristiques de l'Église vivante et actuelle

Notre Église chaldéenne, pour être plus vivante et plus présente, doit devenir :

1. Église du Christ, de l'Évangile et de l'évangélisation, de la catéchèse chrétienne, du service et de la pastorale.
2. Église du Saint-Esprit, comme elle l'était au temps des Apôtres et des Pères, une Église dans laquelle chacun trouve sa place, son rôle et est responsable.
3. Église de pleine communion avec l'Église catholique, respectant sa pleine particularité, son charisme et son héritage.
4. L'Église s'est engagée à renouveler le concile Vatican II.
5. Église du dialogue œcuménique avec les Églises sœurs, et Église de la coexistence et du dialogue avec les religions, en particulier l'Islam.
6. Une Église qui s'occupe des affaires publiques, pour soutenir fermement les attentes légitimes  du peuple pour éliminer l'injustice, pour réaliser la justice, l'égalité, la liberté et la dignité.

Enfin, j'invite les chrétiens d'Irak et du Moyen-Orient à s'unir pour témoigner de l'Évangile, malgré la multiplicité et la diversité de nos Églises, car nous sommes essentiellement une famille avec des frères différents, appelés à remplir notre vocation dans cet Orient si éprouvé. À partir de là, je vous invite à profiter de la visite du Pape pour mobiliser l'opinion publique afin qu'elle soutienne les chrétiens d'Orient, pour qu'ils restent là en signe de la présence de l'amour du Christ, de la fraternité et de la coexistence universelle.

Accueillez Sa Sainteté sur la terre d'Abraham, père des croyants, 'Bshina bshina, o baba dmar' Īthā (Viens en paix, viens en paix, ô Père de notre peuple chrétien). Que Dieu vous protège tous, afin que vous soyez bien et en paix !

S.B. Louis Raphaël Sako
Patriarche chaldéen
11 décembre 2020